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Une clause d’arbitrage à la fois parfaite et imparfaite

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La clause compromissoire, qui apparaît dans de nombreux contrats d’affaires, oblige les parties, aux prises avec un différend issu du contrat où figure une telle clause, à recourir à l’arbitrage afin de résoudre celui-ci. Lorsqu’elle est parfaite, c’est-à-dire lorsqu’elle prévoit l’obligation de recourir à l’arbitrage et qu’elle exclut explicitement la juridiction des tribunaux de droit commun, les tribunaux ont le devoir de la respecter et de renvoyer les parties à l’arbitrage. Cette clause dite parfaite peut cependant devenir imparfaite dans certaines circonstances tel que nous le démontre une décision récente de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Société du port ferroviaire de Baie-Comeau—Hauterive c. Jean Fournier inc. 1.

FAITS

Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec était saisie par la Société du port ferroviaire de Baie-Comeau-Hauterive (Sopor) à la suite d’un jugement rendu par la Cour supérieure du district de Baie-comeau qui a rejeté sa requête en exception déclinatoire et lui a ordonné d’intervenir en l’instance. Les faits à l’origine de ce jugement sont assez simples.

En date du 6 juin 2006, Sopor a confié par contrat à Jean Fournier inc. (Fournier) l’aménagement d’une voie ferrée constituant un lien ferroviaire entre sa place d’affaires et le parc industriel, de même que l’aménagement d’un centre de transbordement. Ce contrat contient une clause compromissoire qui se lit comme suit :

C. 13 Arbitrage

Tout litige entre les parties quant au contrat, plan et devis ou à quelque autre sujet s’y rapportant est réglé par voie d’arbitrage selon les dispositions du Code de procédure civile du Québec.

Dans le cadre de l’exécution de ce contrat, Fournier accorde un contrat de sous traitance à PNR Coyle inc.(Coyle) pour réaliser une partie de la construction du projet de Sopor. Malgré une première prolongation de délai d’exécution consentie par Sopor, les travaux sont finalement parachevés et livrés avec un retard. Sopor invoque alors la clause de retard prévu au Contrat et retient à titre de pénalité une somme de 188 911 $ à même les sommes dues à Fournier.

Par requête introductive d’instance signifiée le 23 septembre 2009, Coyle réclame à Fournier le paiement d’une somme de 303 753,87 $ pour les travaux qu’elle a exécutés. Fournier, à son tour, introduit pour sa défense une demande reconventionnelle contre Coyle visant à lui attribuer la responsabilité de la pénalité que lui impose Sopor en raison du retard dans la livraison des travaux et à lui réclamer la somme de 377 927,46 $. Ensuite, Fournier dépose en date du 12 février 2010 une requête introductive d’instance visant principalement à faire intervenir Sopor  à titre de mise en cause dans le litige l’opposant à Coyle.

Dès le 9 mars 2010, Sopor, demande au tribunal de rejeter la requête de Fournier pour une mise en cause forcée et de déférer le litige à l’arbitrage, ce qui lui a été refusé par le jugement de première instance.

Pour motiver son jugement, le juge première instance se fonde d’abord sur l’article 31 C.p.c. pour établir que la Cour supérieure est le tribunal de droit commun et a préséance en l’instance. Constatant ensuite l’interrelation des parties, leurs demandes et contestations, il établit que l’implication de Sopor est nécessaire pour une solution complète du litige et applique en la cause les dispositions de l’article 216 C.p.c. qui se lisent comme suit:

Toute partie engagée dans un procès peut y appeler un tiers dont la présence est nécessaire pour permettre une solution complète du litige, ou contre qui elle pretend exercer un recours en garantie.

QUESTION EN LITIGE

La question posée aux juges de la Cour d’appel du Québec était dès lors de savoir si la compétence générale de la Cour supérieure à titre de tribunal de droit commun lui confère le pouvoir de forcer Sopor à intervenir dans un litige entre Fournier et Coyle, faisant ainsi échec à l’application d’une clause compromissoire parfaite la liant à Fournier

DÉCISION

La Cour d’appel, après avoir analysé les motifs du jugement, souligne que le juge de première instance a fait manifestement abstraction des dispositions de l’article 940.1 C.p.c., pertinentes à la cause, qui se lisent comme suit:

940.1 Tant que la cause n’est pas inscrite, un tribunal, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage, renvoie les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate la nullité de la convention. […]

Constatant qu’en l’espèce, il n’y a aucune circonstance particulière susceptible de justifier de faire abstraction à la clause compromissoire parfaite intervenue entre Sopor et Fournier, la Cour décide qu’il y a lieu de faire droit, conformément aux dispositions de l’article 940.1 C.p.c., à la demande de renvoi à l’arbitrage formulée par Sopor et, en conséquence, d’infirmer le jugement de première instance et de faire droit aux conclusions recherchées par celle-ci.

OBSERVATIONS

En décidant de donner plein effet aux dispositions de l’article 940.1 C.p.c., la Cour d’appel reste dans le sillage des décisions antérieures qui ont été prises sur la question de l’implication d’un tiers dans un litige pour lequel les parties avaient prévu une clause compromissoire, confirmant ainsi ce qui semble devenir une jurisprudence constante en la matière. En effet, dans l’affaire Dell Computer Corp. C. Union des consommateurs2, la Cour suprême du Canada, par la voix de la juge Marie Deschamps, soulignait notamment ce qui suit :

149.     Au sujet de la question principale de savoir si les tribunaux inférieurs ont commis une erreur en refusant de renvoyer les parties à l’arbitrage, les intimés ne contestent pas que, si la convention d’arbitrage est valide et s’applique au litige, les tribunaux ne possèdent aucun pouvoir discrétionnaire et ne doivent pas refuser de renvoyer les parties à l’arbitrage. Sur ce point, l’art. 940. C.p.c semble clair : si les parties ont conclu une convention d’arbitrage sur la question en litige, le tribunal renvoie les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins que la cause n’ait été inscrite ou que le tribunal ne constate la nullité de la convention. Il est bien établi qu’en employant le verbe « renvoie » au présent de l’indicatif, le législateur a signalé que le tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire de refuser de renvoyer l’affaire à l’arbitrage, à la demande de l’une des parties, lorsque les conditions requises sont remplies. Une simple lecture de l’article 940.1 C.p.c. démontre que trois conditions doivent être remplies; (i) les parties doivent avoir conclu une convention d’arbitrage sur la question en litige, (ii) la cause ne doit pas être inscrite, et (iii) le tribunal ne doit pas constater la nullité de la convention. Dans le cas de la dernière condition, il nous semble évident que la mention de la nullité de la convention vise également le cas où la convention d’arbitrage, sans être nulle, ne peut être opposée au demandeur.

La Cour d’appel s’appuie sur cette position  de la Cour suprême qu’elle cite d’ailleurs pour rappeler que lorsque les conditions requises à l’article 940.1 C.p.c. sont satisfaites, le tribunal n’a d’autres choix que de renvoyer les parties à l’arbitrage, ce qu’elle a fait. Invoquant également la décision rendue dans l’affaire Guns N’Roses Missouri Storm inc. c. Productions musicales Donald K. Donald inc. et autres3, la Cour d’appel souligne qu’il faut nécessairement constater le concours de circonstances particulières pour ne pas appliquer une clause compromissoire liant les parties dans un litige impliquant un tiers. Or, aucune circonstance particulière n’était pas constatée en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, il est donc possible qu’une clause compromissoire parfaite en amont peut, lorsqu’un entrepreneur ou prestataire de services implique en sous-traitance une tierce partie pour réaliser une partie du contrat principal, devenir, pour ce dernier, imparfaite ,en aval de ce contrat , si le sous-contrat ne contient pas lui aussi une clause compromissoire parfaite avec son sous-traitant, comme ce fut le cas dans cette affaire, avec possibilité de joindre les deux causes en arbitrage le cas échéant.  À l’instar de Fournier, un entrepreneur ou prestataire de services peut donc, malgré la présence d’une  clause compromissoire parfaite dans le contrat principal, avoir à se débattre sur deux fronts sans avoir la possibilité de réunir les deux instances même si les deux sont liées avec tous les inconvénients et coûts que cela peut engendrer.

RECOMMANDATIONS

Pour éviter ce genre de situation, dans une optique de saine gestion des risques contractuels,  il faut toujours s’assurer qu’une partie qui opte pour l’arbitrage comme mode de résolution de conflits impose, le cas échéant,  à tous ses sous-traitants le même régime d’arbitrage que celui qui figure dans le contrat principal.  Il doit à cette fin, reconduire cette clause compromissoire dans tous les sous-contrats qu’elle accordera en prévoyant aussi la possibilité pour celle-ci, qui pourrait autrement se trouver coincé entre l’écorce et l’arbre, d’exiger lorsque la résolution complète du différend le requiert qu’un seul tribunal d’arbitrage puisse entendre tout le litige.  Ce faisant elle rend ainsi, quant à elle, la clause compromissoire doublement parfaite.

Pour en apprendre davantage sur l’identification et la gestion des risques contractuels, ne manquez pas de suivre notre prochaine formation intitulée Gestion juridique d’entreprise II.



  1. Société du port ferroviaire de Baie-Comeau—Hauterive c. Jean Fournier inc., 2010 QCCA 2161 (CanLII)
  2. Dell Computer Corp. C. Union des consommateurs, 2007 CSC 34 (CanLII), (2007) 2 R.C.S. 801, paragr. 149.
  3. Guns N’Roses Missouri Storm inc. c. Productions musicales Donald K. Donald inc. et autres, 1994 CanLII 5694 (QC C.A.), (1994) R.J.Q. 1183.

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